[Récit] Évasion

Citation :

Lulla consacra la traversée à étudier les rudiments de la vie des prêtresses, tandis qu’Anton s’appliquait à épuiser les réserves d'alcool du navire.

Au matin du troisième jour, un violent choc réveilla la jeune femme en sursaut. Elle pensa d’abord qu’il s’agissait d’une énième bagarre impliquant Anton, mais les ronflements émanant de la couchette voisine la rassurèrent. Un rapide coup d’œil par le hublot lui révélaque le bateau venait de s’amarrer à un quai.

Elle secoua le jeune homme sans ménagement :

— Debout ! Debout, espèce d’ivrogne, on est arrivé !

— Hgfgsdsmddgrmblw… marmonna celui-ci, dans un relent de mauvaise vinasse et de bière, en roulant dans sa couverture.

— On dirait du Murloc. Allez, Anton, il faut bouger, on va rater le passeur ! Elle le hissa non sans difficulté hors du lit, et le tirant à sa suite, s’engagea sur le pont.

Le port de Menethil émergeait d’une légère brume. Une odeur forte, mélange de poissons fumés et de poissons pourris, la saisit aux tripes. Comme si cela ne suffisait pas, Anton s’était mis à vomir par-dessus bord.

Elle secoua la tête de désapprobation et veilla à ce qu’ils soient les derniers passagers avant de débarquer, conformément aux consignes qu’ils avaient reçues. Debout sous le crachin, elle observait attentivement chaque visage, se demandant lequel parmi ces pêcheurs, contrebandiers, ou simples badauds, serait celui qui les guiderait jusqu’à Stormwind.

Un nain à la figure dissimulée par les larges bords de son chapeau s’avança vers eux :

— Je suis Kogin. Vous devez être les frères et sœur Milles. Suivez-moi, intima-t-il sans attendre de confirmation. Les deux passagers lui emboîtèrent le pas.

— Enfin ! grelotta Anton. Où est ton attelage ? Quittons cet endroit pluvieux et puant, au plus vite ! Je préférerais chevaucher un crocodile plutôt que de rester une minute de plus ici !

— Patience, jeune homme, répliqua le nain. Nous nous rendons à l’auberge, le départ n’aura lieu que demain soir. J’attends encore une livraison.

Une fois à l’intérieur de la petite masure située face au port, ils s’attablèrent près de l’âtre :

— Mangez. La promenade ne sera pas de tout repos. Nous emprunterons les chemins de montagne pour éviter les troupes royales et les bandits, prévint le nain. Il dévisagea ses futurs compagnons de route. Pour des frères et sœurs, ces deux-là ne possédaient aucun trait en commun, exceptée, cette lueur sauvage dans les yeux. Tous les deux sentaient la mort à plein nez.

— Vous devez endosser vos rôles dès à présent, pour brouiller les pistes et ne pas éveiller les
soupçons.

— Lulla, tu te rendras à l’infirmerie du port pour bander les blessés et soigner les malades. Quant à toi, fit-il en s’adressant à Anton, tu distribueras du pain et de l’eau aux voyageurs indigents. C’est ce qui est attendu d’un mage.

La bouche encore pleine, Anton sauta sur ses jambes :

— Je vais si bien m’en acquitter, que vous m’appellerez Magnus Antonin avant la fin de la journée ! fanfaronna-t-il. Et il sortit à sa tâche.
Depuis le seuil de l’auberge, Kogin et Lulla assistaient avec consternation, aux premiers pas du Magnus Anton.

Celui-ci ne cessait de s’emmêler les pieds dans sa tunique, trébuchant et proférant des jurons dans toutes les langues d’Azeroth, pour le plus grand amusement des enfants.
Il mordait dans les pains avant de les distribuer, tentant même d’en tirer quelques pièces en échange, et regrettait à haute voix que l’eau ne fût point alcoolisée.

— Je lui donne cinq minutes voire six avant qu’il ne se retrouve à croupir, dans une geôle d’Hurlevent. S’il ne nous fait pas repérer avant ! prédit Kogin, d’un air sombre.
Lulla soupira.

— Tu trouveras sur ton lit, reprit le nain, une robe… plus adaptée à ta nouvelle fonction. Sans rougir, elle se détacha du spectacle ridicule de son frère et monta dans sa chambre enfiler la robe en lin marron déposée à son intention. La rugosité du tissu sur sa peau la laissa indifférente. Elle ferait tout ce qu’il fallait pour s’adapter à sa nouvelle vie, dût-elle porter une blouse faite d’épines.

Elle retourna auprès du passeur devant l’auberge. Celui-ci n’avait pas quitté Anton des yeux. Tout occupé à escroquer un couple d’elfes aveugles, l’apprenti Magnus ne remarqua pas les regards de Kogin et de Lulla braqués sur lui. Pas plus qu’il ne vit le nain chuchoter quelque chose à l’oreille de la jeune prêtresse, tandis qu’elle acquiesçait d’un hochement de tête, l’air grave.

La nuit suivante, l’équipage fut enfin prêt. À la conduite un gnome à la mine taciturne et à la moustache bouclée, assisterait Kogin.

Lulla et Anton s'installèrent dans la carriole entre les marchandises de contrebande, en route vers une vie plus respectable.

Citation :

La première étape du voyage à travers les marécages embrumés des Paluns, fut rapidement franchie. La caravane s'engagea ensuite sur les routes serpentines taillées dans les montagnes, afin de contourner l’axe principal, trop fréquenté. Les sabots agiles des béliers aguerris aux falaises, dansaient sans hésitation sur les roches menant à Loch Modan.

Anton passait son temps à se plaindre sur tout : l’état des routes, l’odeur des béliers, le climat, et même du mutisme du gnome.

Après une brève pause à Thelsamare pour le repos des montures, la caravane s’engouffra dans les Terres Ingrates.

Le paysage changea du tout au tout. Les vertes forêts du Loch Modan firent place à un désert au sol rougeoyant et à l’atmosphère suffocante.

Revigoré par le soleil et la chaleur, Anton ne tarissait pas d’histoires au grand dam de ses compagnons. Il alternait entre des anecdotes de pirateries et des récits de combats épiques contre des créatures que nul autre n’avait jamais rencontrées.

— Tu n’as pas emporté d’ouvrages pour commencer ton enseignement, comme l’a fait ta sœur ? interrogea le nain agacé.

— J’vais te dire Kogin, où que j’aille, j’ai toujours sur moi un livre. Au cachot, au bordel ou à l’auberge, jamais il ne me quitte…

— Arrête, c’est le même bouquin sur la Troisième Guerre que tu lis depuis tes six ans, aux latrines ! lui répliqua Lulla, amusée.

Anton prit un air pincé :

— Absolument. En bon gentilhomme qui se respecte, je ne m’adonne à la lecture que lorsque je me trouve aux commodités. Et à raison de six à huit passages aux latrines, je fais mes 45 minutes de lecture quotidienne recommandées. Un peu plus, les jours de courante.

— Pourquoi n’ai-je pas facturé ce fichu voyage, le double de ce que vous avez payé ?! s’exclama Kogin, faussement irrité.

Le sommeil finit par gagner les voyageurs, même les plus bavards d’entre eux. Arrivé non loin de Kargath, Kogin prit la décision de faire une halte pour quelques heures.

Ses compagnons de route dormaient encore, lorsque l’attelage reprit la route et foula le sol des redoutables Gorges Brûlantes.

Le nain huma l’air vicié par les fumerolles et les émanations de fer fondu. Ses joues sombres s’illuminèrent du bonheur de traverser ses terres natales.
Territoire tout aussi hostile, les Steppes Ardentes succédèrent aux Gorges Brûlantes. Malgré l’affection que Kogin portait pour ces contrées, il ne s’y attarda pas, et au petit matin, l’équipage s’engouffra dans le canyon les séparant encore des Carmines.

À Comte-du-Lac, le sommeil des voyageurs ne fut pas perturbé par l’échange de marchandises qui eut lieu entre Kogin et des contrebandiers. Les béliers reprirent la route pour le dernier quart du périple. Derrière les rocs des Carmines se dessinait la forêt d’Elwynn et ses promesses de renouveau.

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Citation :

Au pied du dernier sentier parcouru, Kogin attela ses béliers et prépara un feu de camp, tandis que ses compagnons s’étiraient mollement.

Devant eux s’étalait la blanche Stormwind, fière et insolente. Lulla était émerveillée, la cité ressemblait aux descriptions et aux illustrations de ses livres
d’enfance.

Le pont conduisant aux remparts fourmillait de commerçants, de nobles vêtus de riches atours, de gardes aux armes scintillantes sous le soleil matinal.

Les imposantes statues des héros de la Ville semblaient saluer les visiteurs tout en les avertissant : Stormwind ne baisserait jamais la garde.

— Pouah ! cracha Anton, toute en arrogance, en mépris, et en paladins !

— Je dois reprendre la route avant la saison des tempêtes de neige. L’abbaye est au bout du chemin, indiqua Kogin, au croisement avec le Comté de l’or.

Anton lissait les manches de sa tenue :

— J’ai souvent ouï dire du bien à propos de l’auberge du Comte-de-l’Or. Il est temps pour moi de vérifier si les rumeurs sur les qualités hospitalières de ces dames sont fondées ! C’est une approche scientifique, vous savez : observation, expérimentation et répétition !

L’apprenti mage s’inclina devant ses guides :

— Kogin, tu es le meilleur passeur que j’ai jamais rencontré. Je te recommanderai sans hésiter ! Cher gnome, j’ai apprécié ta conversation si reposante. Pour le paiement, veuillez-vous arranger avec Madame. Sœurette, souffre donc que je m’encanaille une dernière fois, avant d’embrasser une existence d’austérité.

— Certes, répondit Lulla dans un sourire. Mais avant cela, partage donc un thé avec nous. Tu as le teint grisâtre d’une anguille pierre-écaille.

Anton avala d’un trait, la boisson chaude que lui tendit Lulla. Il esquissa une révérence devant la jeune femme, et s’effondra sur les genoux au moment de tourner les talons. Portant sa main à la gorge, il tenta d’articuler quelque chose, puis s’écroula.

Calmement, le robuste nain le souleva sans effort, et le plaça dans la carriole :

— Tu fais bien, petite. Il vous mettrait en danger tous les deux. Ofeus est un excellent professeur, habitué aux têtes revêches. Personne ne peut quitter Dalaran sans maîtrise de la magie. Il sera contraint d’étudier, ne serait-ce que pour trouver un moyen de s’en échapper.

— Je sais, répondit Lulla tristement, bien que convaincue. Merci de t’en occuper.

Elle lui tendit une fiole contenant un liquide jaunâtre :

— Il va se réveiller dans douze heures. Tu devras lui redonner trois gouttes à boire pour qu’il sombre à nouveau dans le sommeil. Il y en a assez pour la durée de votre voyage. Au troisième jour, veille à ce qu’il soit rapidement nourri et… ne t’attarde pas trop près de lui !
Elle serra son baluchon sa lettre de recommandation dans une poche.

— Bon courage, jeune fille. Ne reste pas isolée, intègre-toi à la vie de la cité, rejoins une guilde. La maison de recrutement se trouve juste à l’entrée de la ville. Je te conseille la ligue, ils collaborent avec toutes les factions des royaumes, le parfum de mort qui émane de toi ne les effraiera pas.
Déjà, le nain s’éloignait.

La jeune femme franchit le seuil de la maison des guildes. Des casiers au nom des compagnies d’aventuriers débordaient de parchemins.
Elle s’en saisit d’un, au nom de la Ligue. L’officier, chargé des inscriptions, commença de remplir le formulaire :

— Bienvenue à Stormwind, prêtresse. La Ligue, très bon choix ! C’est à quel prénom ?

— Aneszka répondit-elle. Je m’appelle Aneszka.